Ce blog cherche à sensibiliser les lecteurs sur la diversité ethnolinguistique de notre planète, avec certaines réflexions qui me viennent et qui sont en rapport avec les cartes linguistiques de mon site.
La lecture de Language Structure Is Partly Determined by Social Structure est très intéressante, car elle soulève une hypothèse vérifiée selon laquelle les plus grandes langues sont souvent les plus simples. Mais cela reste une hypothèse. J'espère que vous aurez le temps de survoler cette thèse ainsi que certains graphiques. Selon Rick Dale, un des deux auteurs : Notre hypothèse, soutenue par beaucoup d'études de cas précédents, tel que cité dans notre article, est conçu pour expliquer des tendances intéressantes avec plusieurs corrélations - pas d'expliquer l'ensemble de la diversité linguistique en elle-même ! (Voir mon article sur l'indice de diversité linguistique)
Une chose est en effet claire, et les linguistes le savent depuis fort longtemps, et ce en dépit des préjugés dans nos sociétés riches, que les personnes « vivant » avec des technologies primitives ne parlent pas avec des langues simples, bien au contraire. Les langues autochtones d'Amérique du Nord et du Sud sont les plus compliquées au monde, alors que celles d'Europe sont les plus simples. J’ai personnellement expérimenté l’apprentissage de l’algonquin et vous le confirme. Le français et l’anglais sont assez faciles si je les compare aux langues autochtones.
Alors POURQUOI quelques langues finissent-elles avec des fins de verbe, des déclinaisons qui montrent comment un nom est employé, des principes grammaticaux compliqués, alors que d'autres se fondent sur l'ordre des mots et sur le contexte ?
Comme on peut le voir, la première catégorie tend à inclure des langues parlées par de petits groupes comme les isolats parlés en Amazonie ou sur l’île de la Nouvelle-Guinée (Voir ma carte sur les isolats et langues non classifiées). Quant à la seconde catégorie, elle inclut des langues comme l’anglaise et la mandarine.
Les chercheurs se sont demandés s’il y avait une corrélation entre la simplicité d’une langue et son rayonnement international ou régional. Beaucoup de règles grammaticales qui régissent une langue donnée et permettent de construire des énoncés reconnus sont, en termes linguistiques, « overspecified » (dans le sens de superflue). Par exemple, le « s » à l'extrémité des mots « des deux garçons » est superflu, puisque le mot « deux » démontre déjà qu’il y a plus d'un garçon concerné.
Ainsi, la théorie élaborée et mise de l'avant est la suivante : quand les adultes apprennent une seconde ou troisième langue, avec des capacités moindres comparées aux enfants pour qui l’acquisition est innée, les morceaux non obligatoires, non indispensables sont souvent mis de côté. Si vous parlez anglais aux États-Unis, le « She does » tend parfois à être remplacé par un « She do » sans que cela choque.
En effet, quelques linguistes ont simplement supposé que toutes les langues deviennent plus simples avec le temps, ou parce que peu de facteurs sociaux corrèlent avec la complexité (On ne reprend pas les gens qui font des fautes).
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À la Public Library of Science, Gary Lupyan de l'Université de Pennsylvanie et Rick Dale de l'université de Memphis ont trouvé avec leur thèse plusieurs évidences sur l'expansion des langues simplifiées. Ils ont pris 2236 langues dans l'atlas du monde, analysé les structures linguistiques, puis, ont recherché des corrélations avec le nombre de locuteurs de chaque langue, l’expansion géographique de chacune d’elles, et le nombre de langues proches. Ils ont recherché des corrélations avec la morphologie flexionnelle des langues, dans la plupart du temps, des préfixes obligatoires, des suffixes et autres types d'affixes qui sont placés au début d'une racine pour former un nouveau mot, et aussi dans différents mots qui donnent par la suite des significations spécifiques.
À l’évidence, ils ont trouvé qu'il y en avait moins dans les grandes langues. Leurs verbes varient moins avec la personne, l’endroit, le temps et ainsi de suite. Le mandarin, par exemple, n'a aucun passé obligatoire ; un mot supplémentaire peut venir après le verbe pour l'indiquer que l’action s’est produite dans le passé, ou ceci peut être laissé dans le contexte. En revanche, le Yagua, parlé au nord-ouest du Pérou, fait cinq distinctions obligatoires pour exprimer le passé. Les verbes au passé doivent montrer si l'événement s'est produit il y a quelques heures, un jour avant, une semaine, il y a un mois, et ainsi de suite.
Le nombre de locuteurs de chaque langue corrèle beaucoup mieux avec la complexité morphologique, qu’avec la répartition de la langue ou le nombre de langues qui lui sont proches.
Ceci semble logique parce qu'une langue ayant une large population de locuteurs a probablement déjà été apprise dans le passé par un grand nombre de personnes qui n’avaient pas cette dernière comme langue maternelle. Dans la même veine de ce raisonnement, une langue ayant beaucoup de langues proches aujourd'hui pourrait, plus probablement devenir plus simple dans l’avenir, si la langue poursuit son expansion. Il n'y a qu'à écouter les Philippins ou les Singapouriens pour s'en convaincre, leur anglais massacré est d'une pauvreté à faire frémir tous les amoureux de la langue de Shakespeare. Naturellement, les langues dans les familles partagent certains dispositifs particuliers, mais Lupyan et Dale ont constaté que leurs résultats étaient même plus probants et significatifs lorsque la famille et la région de langue ont été mises de côté.
En fait, tout ceci part de la question suivante, à savoir pourquoi les langues deviendraient-elles plus complexes ? Lupyan et Dale offrent plusieurs hypothèses. La première implique autant les adultes que les enfants. Même s'il est particulièrement difficile pour les adultes d’apprendre une morphologie complexe, cela peut malgré tout aider les enfants, car la redondance réduit le besoin de facteurs non-linguistiques pour la compréhension. (Las casas blancas indiquent trois fois à un enfant de langue espagnole qu'il y a de multiples maisons blanches.) Une autre hypothèse alternative est que la morphologie complexe améliore l'économie et la clarté de l'expression, quelque chose qui est souhaitable à condition qu'il ne soit pas trop difficile à apprendre. Une dernière possibilité est simplement que de plus petits groupes linguistiques transmettent plus fidèlement la grammaire à leurs enfants, enseignent les choses superflues ou pas, même s'il n'existe aucune utilité particulière.
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