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30 octobre 2010 6 30 /10 /octobre /2010 15:30

Les Pirahãs, une tribu pas comme les autres.

Schoeller_PirahaGrid.jpg

 

J'avais écrit un article intitulé « Tu fais rire les poissons » sur la traduction d'expressions acadiennes et un nouveau titre m'est venu à la lecture d'un article sur le peuple qui rit tout le temps: « Pas de poisson à manger, alors je ris ». Je pouvais tout autant choisir un titre plus dramatique et plus accrocheur : « La langue du bonheur, va-t-elle disparaître ? ».  Mais quand des scientifiques en arrivent à penser que les Pirahãs, tribu d'à peine trois cents personnes vivant dans la forêt amazonienne au Brésil, "sont des Martiens !", j'avais enfin trouvé mon titre.

Pensez à ceci un instant. Combien d'entre vous peuvent réellement rire quand nos besoins de base ne sont pas satisfaits ? Combien de personnes commencent à se fendre en deux quand elles se retrouvent à la rue parce que leur  maison a été reprise par la banque ? Combien de personnes rient quand elles n'ont pas assez à manger pour le dîner ?

Et bien les Pirahãs, eux rient de tout. Ils rient de leur propre malheur. Quand une hutte se fait souffler lors d'une tempête de pluie, ses occupants sont ceux qui rient encore plus fort. Ils rient quand la pêche est fructueuse ou quand il n'y a aucun poisson à attraper. Ils rient quand ils sont rassasiés ou quand ils ont faim... Ils rient pour tout et de tout. N'oublions pas que le rire est souvent le moyen le plus sur de désacraliser un événement, de dédramatiser une situation mais aussi de caricaturer une personne.  Alors sommes-nous parfois désinhibés dans nos sociétés occidentales ?

 

Petite tribu d'Amérindiens installée au cœur de l'Amazonie brésilienne, localisée près de la rivière Maici, les Pirahãs vivent à l'écart de toute civilisation, sans rien connaître du confort, ni des technologies modernes. Ils y mènent une vie de chasseurs-cueilleurs, dorment peu, passent leur temps à pêcher, communiquent avec des esprits invisibles et se fichent de savoir où ils sont situés sur cette Terre.

cartepiraha

 

Rien faire comme les autres... pour continuer à exister.

 

Cette façon d'appréhender le monde, Daniel L. Everett nous la fait partager dans son dernier ouvrage en version française « Le monde ignoré des Indiens pirahãs » (Don't sleep, there are snakes). Parti dans les années soixante-dix, avec femme et enfants, à la découverte du monde des Pirahãs, il passera au total plus de sept ans parmi eux. Sa vie et sa conception du monde s'en trouveront bouleversées. Car au-delà des charmes et des dangers de la forêt amazonienne, la véritable aventure de ce séjour est celle de l'altérité radicale. L'altérité est un concept philosophique signifiant « le caractère de ce qui est autre » ou la reconnaissance de l’autre dans sa différence, aussi bien culturelle que religieuse.

 

Selon Everett, les Pirahãs ne veulent rien faire comme les autres et rejettent toute idée étrangère pour conserver farouchement leur identité. Ils ont raison d'ailleurs, si vous faites comme les autres, en quelques générations, votre peuple disparaît. C'est aussi par ailleurs dans la différence culturelle et linguistique principalement qu'aujourd'hui un peuple se démarque d'autrui. Entrer dans la modernité demande un sacrifice énorme et continuer à perpétuer des traditions culturelles tout en adoptant un style de vie moderne n'est pas donné à qui veut. Les échecs de reconversion par de nombreux peuples dans ce domaine sont loi.

 

Libre de concepts de temps, de couleur, ou de spécifications quantitatives, l'esprit des Pirahãs semble avoir été figé dans le temps, laissant l'homme dans son état le plus simple, le plus primitif qu'il soit.

Quant à leurs mœurs, certaines vous laissent perplexes. Ces Amérindiens dorment indifféremment du jour ou de la nuit et jamais plus de deux heures. Ils cessent parfois de s'alimenter, ou de nourrir leurs enfants. Ils sont souvent affamés, non pas par manque de nourriture, mais par envie de s'endurcir (tigisái).

 

Son système de parenté est des plus basiques connus, les relations ne dépassent pas le cadre de la fratrie. Un seul mot, baíxi (pronuncé [màíʔì]), est utilisé pour désigner la mère et le père, et il semblerait qu'ils ne maintiennent aucun rapport plus éloigné que celui de frères et sœurs.

Quant à leur langue, nommée pirahã ou múra-pirahã, elle est absolument atypique.

 

Une langue qui les fait connaître aux quatre coins du monde

 

Dans un article précédent : La droite et la gauche n'existent pas !, j'y avais souligné que moins une langue a de locuteurs, plus elle est compliquée. Le tuyuca, de l'Amazone orientale, parlée par 800 personnes semble, selon les linguistes, être une des langues la plus difficile au monde. Ce qui est fascinant pour la communauté scientifique, c'est que dans ce cas, le pirahã présente des carastérisques linguistiques contraires en étant une langue des plus simples au monde.

 

Premièrement, les Pirahãs n'ont pas de système de numérotation, ils n'ont que trois mots pour désigner les nombres, "un" (employé comme nombre ou comme synonyme de "peu"), "deux" (synonyme de "davantage") et "beaucoup". Après quelques expériences simples d'apprentissage sur les chiffres et durant une période de huit mois, ils ont été incapables d'assimiler les notions les plus simples de calcul. Ils n'arrivaient pas à compter au delà des chiffres 8 ou 10.  En fait, les Pirahãs jugent les quantités variables par rapprochement, une poignée de graines équivaut à une autre poignée de graines.

De plus, ils ne disposent pas de mots pour désigner les couleurs, un cas semble-t-il unique au monde. Les concepts de guerre ou de propriété privée leurs sont étrangers. Ils ne savent pas conjuguer au passé (ils n'ont d'ailleurs pas de mythe des origines), ni combiner syntaxiquement deux énoncés.

 

Pour communiquer entre eux, ils utilisent parfois des chants, des fredonnements et des sifflements. Écoutez-les !

Ils n'ont pas de langage écrit, ni de mémoire collective remontant à plus de deux générations et ignorent les récits historiques ou mythologiques. Les Pirahãs changent souvent de nom pour éviter que les esprits ne s'en emparent. Difficile d'ailleurs, de désigner des personnages. On soupçonne que l'ensemble des pronoms, qui est également le plus simple des langues connues, a récemment été emprunté au Tupi-guarani. La langue pirahã n'en possédait point auparavant.

 

La langue des Pirahãs a encore d'autres particularités intéressantes. Limitée à huit consonnes pour les hommes, sept pour les femmes, et seulement trois voyelles, cela en fait la langue possédant le moins de phonèmes au monde.

Cette langue semble n'avoir aucune proposition relative, ni récurrence grammaticale. La construction des groupes nominaux est impossible. Le fait que les Pirahãs n'utilisent pas d'expressions récursives est selon les linguistes, la chose la plus fascinante. Autrement dit, ils n'insèrent pas d'expressions les unes dans les autres pour combiner des idées différentes afin de former une seule phrase simple. En d'autres mots, ils ne peuvent pas dire en une phrase : le fruit jaune qui dans l'arbre de ce coin de forêt est mûr. Cela prend plusieurs phrases pour exprimer cette idée et j'ajoute que la couleur  jaune n'existe pas. (Pas de notion de couleurs)

 

Pirahã Français

1- hi kahaı´ kaisai oba´a’a´

2- ʔakí, ʔakí toi kagáíhiaí kagi abáipí koái

gaí sibaibiababáopiiá
3- gaí sibaibiababáopiiá

4- ʔi kagi abáipísigíai gaí sii ʔísapikobáobiíhaí

5- tı´ ’ı´tı´i’isi ’ogiı´ ’oogabagaı´

6- hiaitı´ihı´ hi kaoa´ ı´bogi bai -aaga´

1- il flêche fabrique voir attractif (Il sait comment faire de belles flêches)

2- Là le jaguar a sauté sur mon chien et le chien est mort, il est arrivé en le respectant.

 

3- Là le jaguar a tué mon chien en sautant sur lui.
4- En le respectant, le jaguar a sauté sur le chien, je crois que je l'ai vu.

5- Je poisson gros veux (Je veux de gros/plusieurs/pile de poissons

6- Les Pirahãs il mauvais esprit peur (Les Pirahãs ont peur des mauvais esprits)

 

Le linguiste Daniel Everett qui a évalué environ 20 Pirahãs, a constaté qu'aucun d'eux n'a utilisé une clause récursive. Selon lui, le Pirahã parle et pense seulement en termes d'expériences directes.

« [Pour les Pirahãs,] les phrases … ne peuvent pas être prononcées de façon acceptable en l'absence d'une comparaison particulière d'animal ou certaines informations d'un animal spécifique à un chasseur spécifique. Autrement dit, quand de telles phrases sont utilisées, elles doivent décrire des expériences spécifiques, elles ne se généralisent pas à travers des expériences. Il est bien sûr plus difficile de dire que quelque chose n'existe pas que de montrer qu'elle existe vraiment, mais …

...dans ce contexte, et après presque trois décennies de recherche régulière sur le pirahã, cela m'amène à la conclusion qu'il n'existe pas de preuves solides de l'existence de quantificateurs dans la langue pirahã », écrit Everett en 2005 (Current Anthropology, Cultural Constraints on Grammar and Cognition in Pirahã)

 

Ces enregistrements sont en anglais mais prêtez-y une oreille attentive. Je suis assez admiratif à l'écoute de tels propos.

 

 

 

 

En espérant qu'ils restent éloignés le plus longtemps possible de nous... C'est de cette façon que nous en apprendrons aussi le plus sur nous-mêmes par comparaisons.

 

Quelques petites remarques sur la diversité linguistique qui diminue jour après jour.

 

Pas besoin d'être un expert en linguistique pour savoir que Biodiversité = Diversité linguistique et que Communication = Peu ou pas de diversité linguistique.

 

Je voudrais reprendre les mots du philosophe québécois Jacques Dufresne : La diversité linguistique est donc notre trésor de savoirs élaborés par l'histoire, et notamment de connaissances sur la manière de maintenir et d'utiliser durablement certains des environnements les plus vulnérables et les plus variés biologiquement du monde. Si, au cours du siècle à venir, nous perdons plus de la moitié de nos langues, nous compromettrons aussi gravement nos chances de vie sur la Terre. De ce point de vue, favoriser la santé et la vigueur des écosystèmes est un objectif qui se confond avec celui qui consiste à favoriser la santé et la vigueur des sociétés humaines, leurs cultures et leurs langues. Nous avons besoin d'aborder la crise environnementale de la planète selon une approche bioculturelle intégrée.


Puisque qu'une image vaut mille mots et bien voici une carte qui traduit cette simple équation.

biodiversite

 

 

 

Liste des 208 prochaines langues qui vont disparaître.


En exclusivité, voici la liste des 208 prochaines langues qui vont disparaître dans très peu de temps. En effet, chacune de ces langues n'a pas plus de 10 locuteurs. Certaines ont déjà disparu.

 

Abaga, achumawi, agta d'Isarog, akuntsu, aleut (occidental,  îles du Commandeur), aleut de l'île Copper, anambé, andoa (Pérou), apache mescalero-chiricahua (Oklahoma), apiaká, arabana, araki, arara-shawanawa, arho, arikapu, arikara, ata, atsina (gros ventre), auishiri (tekiraka), aurê-aurá, aveteian, awacatèque (Mexique), ayapanec, ayizi, ayuru, baagandji, baldamou, bangsa, baré (Brésil), belom,  mapor, bikya, bishuo, bonerif, bung, busuu, canichana, cayuvava, ch’orti' (Honduras), chamicuro, chaná, chemehuevi, chung (Thaïlande), cocama-cocamilla (Brésil), coeur d’Alene, dampal, dharawal, diahói, diegueño du nord, dumi, dyirbal, enets de la toundra, ganggalida, gelao aqaw, grand andamanais, guarasu, guató, guranalum, gweno, holikachuk, hoti, hulung, ibu, iduh (Viet Nam), irantxe-mynky, itonama, juma, kadjerong, kaixana, kalispel, kamarian, kamilaroi, kanoê, kaparajá, karadjeri, karaïm (Ukraine occidentale), karipuna (ne pas confondre avec le créole à base lexicale française qu'est le karipúna, toujours au Brésil), katawixí, kawaiisu, kayardild, kiksht, kiowa apache, kirghiz de Mandchourie, klallam, konkow, korana, krenák, kujubim, kunjen, kurrama, kuruáya, kuuku-ya'u, lae, lardil, laua, lemerig, Lengilu, liki, lorediakarkar, luiseño, luri, lushootseed, mabire, madnegele, maidu, makolkol, malak-malak, mandan, mandchou (Amour), mandchou (Nonni), mangarayi, mansim, maridjabin, massalat, matanvat, matipu, mawayana (Brésil), miwok de la Sierra centrale, miwok de la Sierra du nord, miwok de la Sierra méridionale, miwok du lac, mondé, munichi, munsee (Canada), n|uu, naati, naman, nasarian, navwien, ndai, ngalakan, ngandi, ngardi, ngarluma, ngbinda, nivat, niviar, njerep, nusa laut, olrat, oneida (New York), oneida (Wisconsin), ongota, onondaga (New York), oro win, osage, ouïghour uryangkhai, ouma, paiute du nord (Idaho), parintintín, patwin, paunaca, pawnee, pazeh, pémono, pomo central, pomo du nord, pomo du sud, poyanawa, puari, puruborá, rembaranga, resigaro, saami ter, sabanê, sambe, saponi, selkoupe meridional, selkup central, sene, sorsorian, sowa, spokane, susuami, taap, taje, tanema, tape, taushiro, tehuelche, thao, tharkarri, tinigua, tolowa, totoró, tubatulabal, tuscarora (États-Unis), tuzantec, ura, uru, vano, volow, waanji, wangaaybuwan, wichita, wintu-nomlaki, worrorra, wunambal, xetá, xipaya, yahgan, yarawi, yawalapiti, yiiji, yokuts de Tule-Kaweah, yokuts kings river, yuchi.

 

 

 

Références

Tout ce que vous voulez savoir sur le pirahã sur le site de Daniel Everett,

* « Le monde ignoré des Indiens Pirahãs » de Daniel Everett, Flammarion, 2010, 357 pages, ISBN : 978-2-08-121146-9 ou la version anglaise Don’t Sleep, There are Snakes: Life and Language in the Amazonian Jungle.

* Bamgbose, Ayo (1993). Deprived, Endangered, and Dying Languages. Diogenes. No.161. 41.1, 19-25.
* Bamgbose, Ayo (2000). Language and Exclusion. Muenster, Hamburg, London: LIT Verlag.

Politiques nationales : le rôle des langues transfrontalières et la place des langues de moindre diffusion en Afrique

* The Pirahã people: Defiance of linguistic laws

 

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commentaires

V
In no time? I’m sorry. But I don’t think that is the right way to frame it. How exactly are these 208 languages going to disappear in no time? What about the people who are speaking these languages?
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M
Avec moins de 10 locuteurs, vous estimez à combien de temps les chances survie de ces langues? Après la mort des locuteurs, soyons pragmatique, aucune chance !!