
Le monde est rempli de langues qui expriment des situations très particulières sous différentes formes syntaxiques ou grammaticales.
Dans la langue aborigène Kuuk Thaayorre, la droite et la gauche n'existent pas, les locuteurs du peuple Thaayorre utilisent plutôt les 16 points cardinaux. Par conséquent, les partis politiques français sont-ils à l'Est ou à l'Ouest ?
Dans ce petit texte ci-dessous, je m'attache à compiler quelques petits exemples anecdotiques connus, mais j'imagine que des milliers d'autres spécificités n'ont toujours pas été découvertes.

Une autre singularité de l'algonquin est sa hiérarchie pronominale où la deuxième personne (tu) exclut la première personne (je) qui à son tour exclut la troisième personne (il, elle, on) [2>1>3] (Exemple : Tu frapper (terminaison A)= tu me frappes / Tu frapper (terminaison B) = je te frappe donc le «tu» l'emporte toujours sur le «je»). De plus, si l'on parle de deux personnes, il existe une hiérarchie entre elles ou une obviation (Exemple : Joe aime Sandra, Joe étant le sujet principal, on ajoute le suffixe obviatif «-n» à Sandra et un autre au verbe). Les personnes peuvent être localisées en termes de distance (Exemple: Joe voit Sandra, si Sandra est plus proche que Joe par rapport au sujet qui en parle, un suffixe obviatif va à Joe). La hiérarchie pronominale existe dans beaucoup de langues, mais l'algonquin est peut-être la seule langue où la deuxième personne est prépondérante. La coutume qui veut que le mot «merci» par exemple, est dit par celui qui donne et non celui qui reçoit, donne une dimension autre à cette langue.

Le berik, parlé par un millier de personnes, de la famille Tor-Kwerba, est une langue de Papouasie- Nouvelle-Guinée qui exige également que des mots codent l'information. Les verbes ont des fins, souvent obligatoires, qui racontent quand dans la journée, quelque chose s'est produite ; telbener signifie «[il] boit des boissons en soirée». Mais encore, là où les verbes prennent des objets, selon leurs fins, cela indiquera leur taille : kitobana signifie «donne trois grands objets à cet homme à la lumière du soleil.» Quelques fins de verbes indiquent même où est l'action du verbe par rapport au locuteur : gwerantena signifie «placer un grand objet dans un endroit bas tout près». Le Chindali ou Ndali, langue bantoue de Tanzanie et du Malawi, a un dispositif semblable. On ne peut pas indiquer simplement que quelque chose s'est produite ; la fin du verbe montrera si elle s'est produite en ce moment, plus tôt aujourd'hui, hier ou avant hier. Le temps futur fonctionne aussi de la même manière.

Autres exemples, plus proches de nous linguistiquement parlant avec l'allemand et ses trois genres. Mark Twain s'est déjà demandé pourquoi «une jeune dame n'a aucun sexe, mais un navet en a un». Dans les langues aborigènes, il existe près de 16 genres différents, ainsi un genre rassemblant les outils de chasse, un autre les choses qui brillent, et même un genre qui s'applique aux femmes, au feu et aux choses dangereuses.
À l'occasion d'une comparaison faite entre germanophones et hispanophones, on peut constater que des idées associées à un mot dépendent du genre grammatical qui lui est assigné respectivement dans chaque langue. Ainsi, au mot «pont», qui est du genre féminin en allemand, le locuteur allemand associe des adjectifs tels que beau, gracieux, fragile, léger, etc. En espagnol, le même mot qui se trouve être du genre masculin suscite des qualificatifs tels que massif, solide, dangereux, long, imposant…
Quelles sont les conséquences sur notre comportement ?
Chomsky pense que le langage est "pré-organisé" d'une façon ou d'une autre dans la structure neuronale du cerveau humain et que l'environnement ne vient que sculpter les contours de ce réseau en une langue particulière. Une approche qui demeure radicalement opposée à celle de Skinner ou Piaget où le langage n'était construit que par la simple interaction avec l'environnement. Cette conception béhavioriste (comportementalisme) où l'acquisition du langage n'est qu'un " produit dérivé " du développement cognitif général fondé sur l'interaction sensori-motrice avec le monde avait semble-t-il été abandonnée suite aux thèses de Chomsky.

Chose cocasse, la salutation standard en Kuuk Thayoorre est «où allez-vous ?», avec une réponse du genre «nord-nord-est, dans la distance moyenne.» Ne sachant pas de quelle direction il s'agit, Mme Boroditsky note qu'un occidental ne pourrait rien comprendre avec un simple «bonjour».
Cette importance accordée à l'orientation spatiale, à la position dans l'espace influe sur les représentations abstraites, plus complexes, telles que la perception du temps. Illustration : si on leurs demande de classer des images comportant une logique de déroulement dans le temps (un vieillard, un crocodiles pris à divers stades de croissance, une banane qu'on mange…), contrairement à un Occidental qui classera les images suivant son sens d'écriture habituel (de gauche à droite, ou de droite à gauche) pour restituer l'ordre chronologique normal, l'aborigène en question, lui, va les classer selon les points cardinaux en fonction de l'endroit où il se trouve au moment où il est lui demandé de procéder à ce classement : s'il est assis face au sud, les images sont classées de gauche à droite, et s'il est assis face au nord, de droite à gauche. S'il est face à l'est, il classera les cartes en les alignant de haut en bas, etc.
Les universalistes répliquent que les néo--Whorfians trouvent des dispositifs extérieurs insignifiants de la langue : l'affirmation que la langue resserre vraiment la pensée n'est toujours pas prouvée.
Quelle est la langue la plus difficile au monde ?
De nombreux linguistes semblent pencher pour le tuyuca, de l'Amazone orientale, parlée par 800 personnes dont 350 en Colombie et 450 au Brésil (aussi appelé Dojkapuara, Tejuca, Doxká-Poárá, Tuyuka, Doka-Poara, Tuiuca, and Dochkafuara). Cette langue a un système de son avec des consonnes simples et quelques voyelles nasales, mais il n'est pas aussi difficile à parler, à comparer de l'oubykh qui possède 83 consonnes ou du !Xóõ et ses 58 consones, 31 voyelles, et quatre tons.
Comme le turc, il agglutine fortement, de sorte qu'un mot tel que hóabãsiriga signifie «je ne sais pas écrire.» Comme le Kwaio, il a deux mots pour le «nous», inclusif et exclusif. Les classes de noms (genres) dans la famille de langue du tuyuca (parents proches y compris) ont été estimées entre 50 et 140. Certains sont rares, comme l'«écorce qui ne s'accroche pas étroitement à un arbre», qui peut être prolongement aux choses telles que le pantalon ample, ou le contre-plaqué (le plywood en bon québécisme) humide qui a commencé à se décoller de toute part. Et comme toutes langues non-indo-européennes, plus de 90% du vocabulaire usuel est à apprendre.
Le tuyuca exige des fins aux verbes afin de démontrer comment l'orateur sait quelque chose. Diga ape-wi signifie que «le garçon a joué au football (je le sais parce que je l'ai vu)», alors que diga ape-hiyi signifie «le garçon a joué au football (je suppose)». Le français peut fournir de telles informations, mais pour le tuyuca, une fin est obligatoire sur le verbe, donc cette langue exige une condition sociale, une perception, une connotation personnelle à la phrase. Ces langues décriées comme primitives autrefois ont en fait des leçons à nous donner, grammaticales et syntaxiques n'est-ce pas ?
Quant à ceux qui mettent la langue française sur un piédestal, je leurs dis simplement que c'est une langue comme les autres, avec ses forces mais aussi ses faiblesses.
Les linguistes se demandent encore avec précision comment une langue fonctionne dans notre cerveau, et les exemples tels que le tuyuca sont éventuellement une matière première de premier choix. Avec la disparition des langues comme l'oubykh (disparut en 1992), les linguistes se dépêchent à apprendre, compiler, enregistrer ce qu'ils peuvent avant que les forces de la modernisation et de la mondialisation n'emportent à tout jamais les langues les plus étranges pour certains, les plus riches selon moi.